Pourquoi je ne pratique pas l’hypnose pour la perte de poids : une position féministe et politique
- Perrine Tomek
- 23 mai
- 4 min de lecture
Sur beaucoup de sites d'hypnothérapeutes, on voit encore cette promesse bien lisse : « perdre du poids grâce à l’hypnose ».
Et si ce type d’accompagnement peut sembler séduisant au premier abord (car soyons honnêtes, très lucratif), j’ai choisi de ne pas l’inclure dans ma pratique.
Non pas parce que l’hypnose n’est pas efficace, c’est un outil que j’utilise et respecte profondément, mais parce que je considère que l’hypnose pour maigrir, en tant que telle, participe à renforcer des injonctions sexistes que je refuse de reproduire dans l’espace thérapeutique.
Je suis psychopraticienne féministe et queer, spécialisée en psychotraumatologie. Mon approche s’inscrit donc dans une perspective de regard critique des normes sociales, et notamment de celles qui tendent à régir les corps, les identités, les comportements... etc.

Ne pas collaborer avec un système capitaliste oppressif
J’accompagne des personnes qui, très souvent, portent dans leur corps et leur esprit les traces d’une société normative et violente : une société qui prescrit, impose, dicte (parfois de manière insidieuse, parfois de manière brutale) ce qu’elles devraient être, comment elles devraient se comporter, à quoi elles devraient ressembler.
Ces injonctions peuvent prendre racine très tôt, et se loger profondément. Elles peuvent laisser des empreintes durables : honte du corps, dissociation, troubles du comportement alimentaire, dévalorisation de soi, hypervigilance, anxiété chronique…
Dans ce contexte, proposer une hypnose pour « maigrir » me semble non seulement être un contresens thérapeutique, mais aussi une forme de violence symbolique que je refuse d’endosser. Cela reviendrait à mes yeux à renforcer l’idée que le corps doit se conformer à des standards extérieurs pour être digne, acceptable, aimé.
Cela reviendrait également pour moi à soigner un symptôme en niant sa cause. Cela reviendrait finalement à collaborer, même malgré soi, avec un système oppressif qui pathologise les corps hors-norme, en particulier les corps des femmes, des personnes trans, des personnes grosses, racisées, neurodivergentes, en situation de handicap.... Je refuse également de participer à ce système capitaliste qui exploite et monétise la souffrance liée aux corps des femmes et des personnes minorisées.
L’industrie de la perte de poids est un marché colossal, construit sur la peur, la honte et les injonctions normatives. Elle tire profit d’un mal-être profondément ancré et nourrit perpétuellement dans nos sociétés, transformant en business ce qui est avant tout une violence sociale et psychique. En ne proposant pas l’hypnose comme méthode pour maigrir, je choisis de ne pas alimenter cette machine lucrative qui fait commerce des corps et des souffrances, mais plutôt de créer un espace thérapeutique libre de ces logiques d’exploitation.
Ma pratique vise au contraire à soutenir des processus de reconnexion à soi, de réappropriation du corps, de restauration de l’estime de soi et de déconstruction des normes intériorisées.
L’hypnose, que j’utilise comme outil thérapeutique, s’inscrit dans cette dynamique : elle n'est pas utilisée pour renforcer les diktats esthétiques d'une société grossophobe, mais pour être un levier puissant pour renforcer l’alliance avec soi-même, panser les blessures de l’emprise ou se libérer de ce qui a été imposé de l’extérieur.
Maigrir n’est pas neutre
Dans notre culture, maigrir est rarement une démarche neutre ou purement « santé ». Elle est souvent chargée de normes patriarcales sur la minceur, la beauté, la désirabilité.
Ce sont principalement les femmes — et les personnes socialisées comme femmes — à qui l’on fait comprendre, parfois dès l’enfance, que leur valeur dépend en partie de leur poids, de la taille de leurs vêtements, de leur contrôle sur leur corps. Proposer une hypnose « pour maigrir », même avec les meilleures intentions du monde, c’est risquer de reconduire ces mêmes injonctions au sein même de l’espace thérapeutique.
C’est faire comme si le désir de maigrir émergeait spontanément, naturellement, sans lien avec la pression constante exercée sur les corps, en particulier les corps féminins et minorisés. C’est aussi ignorer que, pour beaucoup, ce désir est le fruit d’années de honte, de contrôle, de violence intériorisée.
Intégrer cette demande dans l’espace thérapeutique sans la questionner revient, à mes yeux, à valider tacitement ces injonctions. C’est leur donner un vernis de légitimité, comme si elles étaient neutres, raisonnables, voire thérapeutiques, alors qu’elles sont le symptôme d’un système oppressif.
Ma pratique s’ancre ailleurs
Mon engagement thérapeutique consiste précisément à créer un espace où ces normes peuvent être interrogées, déconstruites, désamorcées. Un espace où les personnes peuvent réapprendre à habiter leur corps autrement que dans le contrôle, la restriction ou la honte.
Un espace de réconciliation avec soi, loin des diktats, des attentes extérieures, des regards normatifs
Je n’utilise pas l’hypnose pour imposer une norme extérieure, mais pour accompagner la personne vers plus de liberté intérieure. Cela peut passer par un apaisement du rapport à l’image corporelle, une libération des voix critiques internalisées, ou un travail sur le traumatisme corporel. Parfois, cela peut mener à des changements physiques, mais ces changements sont alors des conséquences, non des objectifs imposés.
Je crois profondément que les corps n’ont pas à se conformer. Qu’ils peuvent être accueillis, habités, célébrés, même (et surtout) lorsqu’ils dérogent aux normes dominantes. Travailler à s’accepter dans un monde qui pousse à se changer est un acte politique, et je souhaite que mes accompagnements soient des espaces sûrs pour cela.
Et si la question du poids reste présente ?
Lorsque qu’une personne vient avec une souffrance liée à son poids ou à son apparence, je l’accueille pleinement, avec tout ce que cela peut impliquer de douleur, de honte, de solitude parfois...
Je reconnais la légitimité de cette souffrance, et je l’écoute avec attention et bienveillance.
Mon intention n’est pas de proposer une transformation du corps pour répondre aux attentes sociales, mais plutôt d’ouvrir un espace où ces attentes peuvent être questionnées en profondeur : d’où viennent-elles ? Quels impacts ont-elles eu sur la relation à soi, aux autres, au monde ? Que viennent-elles restreindre ou faire taire ?
Je propose un accompagnement qui invite à se réapproprier son histoire, son corps, ses ressentis. Un chemin vers plus de liberté intérieure, vers des manières nouvelles, parfois encore inimaginables, de se vivre, de se relier à soi, de faire alliance avec son corps. Un accompagnement qui ne cherche pas à réparer un corps prétendument défaillant, mais à guérir les blessures causées par un regard extérieur devenu trop souvent juge et bourreau.
Comments